Disparition

Taken

une série de Leslie Bohem (2002)

Petits hommes verts, petite matière grise

Amateurs de X-Files ou non, gardez vos distances. Cette mini-série produite par tonton Spielberg tente d'embrasser une intrigue de 60 ans jonglant avec une bande d'extra-terrestres facétieux et un gouvernement américain très vilain. L'approche est fort différente de celle menée par Chris Carter, et ne fait pas honneur au genre.

Déjà, Taken s'avère incapable de manier le mystère. Sur les trois familles suivies depuis la Seconde Guerre mondiale, les Keys et les Clarkes sont des citoyens lambdas, mais les Crawfords sont des militaires purs-sangs, pas loin de se transmettre leurs carrières de génération en génération. Ces agents fédéraux s'illustrent par leur impuissance, qu'il s'agisse de trébucher sur une technologie extra-terrestre puis la tripoter pendant des dizaines d'années sans rien comprendre, ou bien de pourchasser et perdre de vue les deux autres familles à la Tom & Jerry. Les scénaristes auraient pu camoufler toute cette inaction mais préfèrent étaler en détail la vie des Crawfords. Le public a donc tout à fait conscience qu'ils ne savent rien et ne menacent presque pas les deux autres lignées. C'est l'anti-théorie du complot...

Il ne faut pas compter beaucoup plus sur les aliens pour rendre l'histoire excitante. Ils apparaissent assez tôt à l'écran, avec un design radicalement classique, silhouette fine, tête volumineuse, yeux globuleux et opaques, répliques des créatures introduites par le même Spielberg dans Rencontres du troisième type en 1977, reflets du refus d'inventivité de Taken. Ils ont tous les pouvoirs et débarquent de temps en temps pour un petit deus ex machina, mais c'est dès le premier épisode qu'ils manifestent leur volonté d'un hybride avec la race humaine. Énorme redite d'un pan de X-Files, dont la diffusion s'était achevée six mois plus tôt ; il s'agirait presque de plagiat si les aventures de Mulder et Scully n'étaient pas déjà essentiellement une réappropriation de multiples mythes nés de l'âge d'or de la littérature de science-fiction. Quoi qu'il en soit, la mèche est vendue au bout de quelques quarts d'heure de série et ces petits-gris n'ont plus grand-chose à proposer par la suite, en-dehors d'une justification un peu vaseuse, presque une parodie du cinéma spielbergien (« il nous reste juste assez de sentiments pour souhaiter que la prochaine étape de notre évolution inclue la ribambelle de bons sentiments humains »).

Non seulement Taken ne raconte rien de palpitant, mais elle est encore plus assommante dans sa forme. Cette grande fresque humaniste, où les époques et les personnages se succèdent sans possibilité d'attachement, évoque forcément certains éléments de la filmographie de Spielberg (toujours lui), un peu de Schindler's List et beaucoup de War Horse. Le format de mini-série lui permet de prendre encore plus largement ses aises, d'autant que chacun des dix épisodes dure plus de quatre-vingts minutes, mais ça n'améliore pas ce qui capote au cinéma, bien au contraire. Les acteurs de qualité se succèdent sans se démarquer, souvent enfermés dans des rôles désincarnés d'un Nouvel Hollywood poussiéreux et manichéen : en gros, les Keys sont tous des hommes paumés au grand cœur, les Clarkes sont des femmes aimantes et en voie d'émancipation, et les Crawfords sont des psychopathes qui s'entretuent pour récupérer les rênes du projet gouvernemental dont ils ne savent même pas quoi faire. Il est impossible de suivre le nombre de scènes qui sonnent faux parce que les personnages doivent se conformer à des archétypes trop connus des scénaristes comme du public. Avec l'occasionnel coulis de violons en fond sonore, il devient difficile de retenir ses soupirs d'exaspération.

Summum de ce manque d'inspiration, une gamine débite en voix off léthargique, d'un bout à l'autre de la série, des bêtises vagues ou des vérités générales totalement décorrélées les unes des autres, échos voilés et inutiles de ce que la vidéo montrait avec déjà bien assez peu de subtilité. Court florilège issu du premier épisode, qui devrait suffire à témoigner de ma détresse et de mon ennui :

Most people change kind of slowly. They're who they are and then after a while, they're someone else. But some people know the exact moment where their lives changed. They saw the person they were going to marry or the look in their baby's eyes the first time he smiled. For some people, it's not the good things in life that made them change. It's something they've gone through that makes everything they look at from that moment on seem very different from how it had always been.

People are lonely in this world for lots of different reasons. Some people have something in their disposition. Maybe they were just born too mean, or maybe they were born too tender. But most people are brought to where they are by circumstance, by calamity or a broken heart or something else happening in their lives that wasn't anything they planned on.

Some people have given up all hope of anything in their lives ever changing. They just go on with it day by day, and if something were to come along and make things different, they probably wouldn't even notice right off, except maybe for that kind of nervous feeling you get in your stomach.

Argh.

N'en déplaise à son budget probablement significatif et son académisme pesant, Taken figure parmi les créations de Sci-Fi justement oubliées. Il s'agit ni plus ni moins d'un caprice de Spielberg, grand gamin obsédé par les aliens qui, sur le coup, a préféré diluer en dix films des idées qu'il aurait facilement pu partager en un seul.