'People die when they are meant to die. There's no discussion.'
Dead Like Me est une série difficile à définir. Par parce qu'elle est complexe et riche, mais parce qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut raconter.
Au départ, une rencontre malheureuse. D'un côté, une cuvette de toilettes qui n'a pas eu la délicatesse de s'abîmer sagement dans le Pacifique Sud comme le reste de la station Mir dont elle provient. De l'autre, Georgia Lass, 18 ans, blonde boudeuse, victime d'une crise d'adolescence venue la frapper sur le tard. George est pulvérisée sur-le-champ mais récupère un boulot de faucheuse sans avoir eu le temps de reprendre son souffle (ce dont elle n'aura d'ailleurs jamais l'occasion) ni de grogner une quelconque objection. Son petit groupe de collègues lui présente rapidement sa mission : extraire les âmes des types malchanceux destinés à un trépas violent, afin qu'ils ne sentent aucune douleur à l'heure fatidique. Je ne suis pas convaincu qu'on ait jamais cherché à évoquer l'âme d'une façon aussi fuyante et insignifiante, mais ce n'est que le début d'une longue liste de règles arbitraires et absconses que les scénaristes, par l'intermédiaire des personnages, nous encouragent fortement à ne pas questionner. Rien de grave après tout, il ne s'agit que du concept essentiel du show.
Après quatre ou cinq épisodes qui font quand même mine de s'interroger sur le fonctionnement des faucheurs d'âme (pourquoi la mort de quelqu'un est-elle prévue à telle heure et tel lieu précis ? qui en décide, ou du moins qui le sait ? pourquoi y a-t-il des exceptions ? etc.), les scénaristes admettent qu'ils sont aussi incapables de répondre à ces problème logiques que d'explorer des thèmes plus complexes de libre-arbitre ou de spiritualité qui se cachent derrière. C'est la pensée de Rube, le chef du groupe interprété calmement par Mandy Patinkin, qui triomphe : faire son boulot et réprimer toute envie de le comprendre. La mort, c'est comme ça et puis c'est tout —voilà sans doute le jugement que Dead Like Me avance avec le plus de force, faute de courage et de réflexion. Dire que le grand inconnu est vraiment un grand inconnu, ça reste bien sûr une position respectable, mais pour construire la mythologie d'une série, c'est quand même faible.
Les scénaristes se détournent donc rapidement de ces pistes stériles, et recentrent leur écriture autour de George et de la famille qui l'a brusquement perdue. George, devenue une entre-deux ('undead'), fait son propre deuil, dans le sens où elle doit laisser sa famille et un tas de principes derrière elle pour accomplir son rôle de faucheuse d'âme sans interférence. Difficile parfois de s'investir émotionnellement dans ce schéma étrange. Mais elle fait aussi le deuil de sa jeunesse improductive, car elle est forcée de jongler avec son boulot de faucheuse éprouvant ainsi qu'un poste dans une boîte d'intérim, Happy Time. Car les faucheurs peuvent vider des porte-feuilles, récupérer des clés de voiture ou squatter les maisons de certains décédés, mais il leur faut apparemment gagner de l'argent ailleurs pour payer leur petit café chaque matin. Happy Time, comme son nom l'indique ironiquement, révèle d'abord l'hypocrisie et le ridicule du monde des grandes personnes (excellente Dolores Herbig). Mais la série semble peu à peu encourager l'attitude positive que George simule afin de rallier cet environnement étriqué et faux. Etre adulte, c'est se ranger sagement dans un bureau qu'on méprise, se rendre complice de principes qu'on abhorre ? Message plutôt gênant, qui gâche une partie de l'humour déployé.
Les deuils suivis par les parents de George et sa petite sœur sont écrits de façon nettement plus sensible. Du haut de ses onze ans, Reggie extériorise tout le malaise dans lequel la disparition subite de George l'a plongée. Ca peut être drôle et touchant, comme cet arbre dont elle garnit les branches de cuvettes de toilette. Ca peut aussi tomber à plat, comme bien d'autres tentatives de la série. Dans le rôle de la mère qui tente de maintenir un semblant de cohérence dans la famille, l'actrice Cynthia Stevenson est toujours juste. Sa mélancolie et sa douleur provoquent quelques pincements au cœur. Mais pour une série qui n'a plus que l'humour comme ambition défendable, la manière dont se désagrège progressivement son mariage est plus source de malaise qu'autre chose.
Avec sa deuxième saison, Dead Like Me transitionne lentement vers des schémas narratifs plus traditionnels. Des flashbacks de l'enfance de George pas très utiles et encore moins intéressants, des morales en voix off qui rappellent la vacuité des prêches de Mary Alice dans Desperate Housewives, des guests qui restent un peu plus que le temps d'un épisode mais ne parviennent pas non plus à générer des arcs très consistants. Seul le personnage de Daisy parvient à s'extirper de ces errances scénaristiques en révélant, par petites touches, une sensibilité inattendue. Mais c'est globalement l'ennui qui prime. Ellen Muth sait rendre George Lass attachante, mais les répliques qui lui sont données n'ont pas le niveau nécessaire pour rendre l'ensemble divertissant. Le comique de situation agit comme un dernier refuge, mais l'accumulation de morts grotesques neutralise l'humour noir dont la série se veut l'étendard.
Je ne suis pas certain de conseiller à grand-monde de regarder Dead Like Me au-delà du pilote, mais en tout cas le film sorti en 2009, bien après le dernier épisode diffusé par Showtime, est à fuir à toutes jambes. C'est un peu comme si l'abcès entamé avec la baisse de qualité de la série au cours de ses deux saisons avait continué à gonfler pendant cinq ans pour finalement crever avec le direct-to-video Life After Death. Des personnages sans consistance totalement malléables pour des intrigues insignifiantes, George qui déverse des seaux de messages bien-pensants en voix off, et un nappage poisseux de CGI kitsch et de ralentis ou accélérés grossièrement inutiles. Rien de drôle, et aucun sentiment de conclusion.
Une partie de ce tas de défauts est sans doute imputable à la production mouvementée avec laquelle Dead Like Me a dû s'efforcer d'avancer. Peut-être que Bryan Fuller, la créateur de la série, avait une mythologie plus solide en tête avant d'être mis à l'écart par le studio MGM après un petit nombre d'épisodes, et peut-être que ses successeurs ont contrevenu à ses souhaits en minimisant les dépendances entre les épisodes. Quoi qu'il en soit, Dead Like Me n'amuse pas souvent et n'incite pas beaucoup plus à la réflexion. Pour une série qui a compris comment parler de la vie en montrant la mort, allez plutôt voir du côté de Six Feet Under.
'People die when they are meant to die. There's no discussion.'
Dead Like Me est une série difficile à définir. Par parce qu'elle est complexe et riche, mais parce qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut raconter.
Au départ, une rencontre malheureuse. D'un côté, une cuvette de toilettes qui n'a pas eu la délicatesse de s'abîmer sagement dans le Pacifique Sud comme le reste de la station Mir dont elle provient. De l'autre, Georgia Lass, 18 ans, blonde boudeuse, victime d'une crise d'adolescence venue la frapper sur le tard. George est pulvérisée sur-le-champ mais récupère un boulot de faucheuse sans avoir eu le temps de reprendre son souffle (ce dont elle n'aura d'ailleurs jamais l'occasion) ni de grogner une quelconque objection. Son petit groupe de collègues lui présente rapidement sa mission : extraire les âmes des types malchanceux destinés à un trépas violent, afin qu'ils ne sentent aucune douleur à l'heure fatidique. Je ne suis pas convaincu qu'on ait jamais cherché à évoquer l'âme d'une façon aussi fuyante et insignifiante, mais ce n'est que le début d'une longue liste de règles arbitraires et absconses que les scénaristes, par l'intermédiaire des personnages, nous encouragent fortement à ne pas questionner. Rien de grave après tout, il ne s'agit que du concept essentiel du show.
Après quatre ou cinq épisodes qui font quand même mine de s'interroger sur le fonctionnement des faucheurs d'âme (pourquoi la mort de quelqu'un est-elle prévue à telle heure et tel lieu précis ? qui en décide, ou du moins qui le sait ? pourquoi y a-t-il des exceptions ? etc.), les scénaristes admettent qu'ils sont aussi incapables de répondre à ces problème logiques que d'explorer des thèmes plus complexes de libre-arbitre ou de spiritualité qui se cachent derrière. C'est la pensée de Rube, le chef du groupe interprété calmement par Mandy Patinkin, qui triomphe : faire son boulot et réprimer toute envie de le comprendre. La mort, c'est comme ça et puis c'est tout —voilà sans doute le jugement que Dead Like Me avance avec le plus de force, faute de courage et de réflexion. Dire que le grand inconnu est vraiment un grand inconnu, ça reste bien sûr une position respectable, mais pour construire la mythologie d'une série, c'est quand même faible.
Les scénaristes se détournent donc rapidement de ces pistes stériles, et recentrent leur écriture autour de George et de la famille qui l'a brusquement perdue. George, devenue une entre-deux ('undead'), fait son propre deuil, dans le sens où elle doit laisser sa famille et un tas de principes derrière elle pour accomplir son rôle de faucheuse d'âme sans interférence. Difficile parfois de s'investir émotionnellement dans ce schéma étrange. Mais elle fait aussi le deuil de sa jeunesse improductive, car elle est forcée de jongler avec son boulot de faucheuse éprouvant ainsi qu'un poste dans une boîte d'intérim, Happy Time. Car les faucheurs peuvent vider des porte-feuilles, récupérer des clés de voiture ou squatter les maisons de certains décédés, mais il leur faut apparemment gagner de l'argent ailleurs pour payer leur petit café chaque matin. Happy Time, comme son nom l'indique ironiquement, révèle d'abord l'hypocrisie et le ridicule du monde des grandes personnes (excellente Dolores Herbig). Mais la série semble peu à peu encourager l'attitude positive que George simule afin de rallier cet environnement étriqué et faux. Etre adulte, c'est se ranger sagement dans un bureau qu'on méprise, se rendre complice de principes qu'on abhorre ? Message plutôt gênant, qui gâche une partie de l'humour déployé.
Les deuils suivis par les parents de George et sa petite sœur sont écrits de façon nettement plus sensible. Du haut de ses onze ans, Reggie extériorise tout le malaise dans lequel la disparition subite de George l'a plongée. Ca peut être drôle et touchant, comme cet arbre dont elle garnit les branches de cuvettes de toilette. Ca peut aussi tomber à plat, comme bien d'autres tentatives de la série. Dans le rôle de la mère qui tente de maintenir un semblant de cohérence dans la famille, l'actrice Cynthia Stevenson est toujours juste. Sa mélancolie et sa douleur provoquent quelques pincements au cœur. Mais pour une série qui n'a plus que l'humour comme ambition défendable, la manière dont se désagrège progressivement son mariage est plus source de malaise qu'autre chose.
Avec sa deuxième saison, Dead Like Me transitionne lentement vers des schémas narratifs plus traditionnels. Des flashbacks de l'enfance de George pas très utiles et encore moins intéressants, des morales en voix off qui rappellent la vacuité des prêches de Mary Alice dans Desperate Housewives, des guests qui restent un peu plus que le temps d'un épisode mais ne parviennent pas non plus à générer des arcs très consistants. Seul le personnage de Daisy parvient à s'extirper de ces errances scénaristiques en révélant, par petites touches, une sensibilité inattendue. Mais c'est globalement l'ennui qui prime. Ellen Muth sait rendre George Lass attachante, mais les répliques qui lui sont données n'ont pas le niveau nécessaire pour rendre l'ensemble divertissant. Le comique de situation agit comme un dernier refuge, mais l'accumulation de morts grotesques neutralise l'humour noir dont la série se veut l'étendard.
Je ne suis pas certain de conseiller à grand-monde de regarder Dead Like Me au-delà du pilote, mais en tout cas le film sorti en 2009, bien après le dernier épisode diffusé par Showtime, est à fuir à toutes jambes. C'est un peu comme si l'abcès entamé avec la baisse de qualité de la série au cours de ses deux saisons avait continué à gonfler pendant cinq ans pour finalement crever avec le direct-to-video Life After Death. Des personnages sans consistance totalement malléables pour des intrigues insignifiantes, George qui déverse des seaux de messages bien-pensants en voix off, et un nappage poisseux de CGI kitsch et de ralentis ou accélérés grossièrement inutiles. Rien de drôle, et aucun sentiment de conclusion.
Une partie de ce tas de défauts est sans doute imputable à la production mouvementée avec laquelle Dead Like Me a dû s'efforcer d'avancer. Peut-être que Bryan Fuller, la créateur de la série, avait une mythologie plus solide en tête avant d'être mis à l'écart par le studio MGM après un petit nombre d'épisodes, et peut-être que ses successeurs ont contrevenu à ses souhaits en minimisant les dépendances entre les épisodes. Quoi qu'il en soit, Dead Like Me n'amuse pas souvent et n'incite pas beaucoup plus à la réflexion. Pour une série qui a compris comment parler de la vie en montrant la mort, allez plutôt voir du côté de Six Feet Under.