D'après une histoire vraie

un film de Roman Polanski (2017)

vu le 27 mai 2017
dans la salle Debussy, au Palais des festivals

La petite voix aux yeux verts

Malgré la bénédiction des amis cannois, le dernier film de Polanski, co-écrit avec Assayas, est d'une régularité plutôt décevante. Emmanuelle Seigner possède une gentille alchimie avec Eva Green, mais bien en-deçà de la passion troublante qu'elle pouvait partager avec Amalric dans La Vénus à la fourrure. Cause ou conséquence, la mise en scène reste plutôt ténue, revisitant sans éclat la paranoïa et l'érotisme domestique et urbain de succès passés tels que Le Locataire ou Frantic.

Mettons de côté le jeu du chat et de la souris qui détermine trop des interactions du couple principal, procédé narratif dont la tension sage et attendue occupe malheureusement l'essentiel du long-métrage, et qui flirte bien près du classique Misery. S'il s'agissait de ne commenter que la valeur ajoutée de D'après une histoire vraie à l'échelle d'une filmographie, il faudrait parler de l'angoisse de la page blanche, des origines de la créativité, et de la place de l'artiste par rapport à sa propre production. Et pas son rôle social, mais son identité par rapport à l'image qui transparaît de lui via ce mode d'expression.

Le dilemme est explicité assez tôt dans le film : faut-il croire en la personne que l'on se sent être, ou bien celle que le monde extérieur voit en nous ? Discrète référence et révérence, le t-shirt Blackstar porté par Delphine est particulièrement évocateur, David Bowie incarnant par excellence cette tension permanente entre questionnement intérieur de l'artiste et prise en compte de l'appréciation publique. Cette sensibilité à sa propre image constitue un guide le long d'une frontière vaporeuse entre accomplissement de "l'être caché" et reconnaissance publique.

Pour Delphine, auteure populaire d'autofictions intimes, le processus créatif est une quête dangereuse, d'autant plus qu'elle est menée en aveugle. La sensibilité que je mentionnais est ici essentiellement inconsciente, même si pour le public, la duplicité du personnage d'Eva Green ne fait rapidement presque aucun doute. Il s'agit donc de laisser parler cette âme profonde, autonome et revêche, méprisante de la moindre chose sociale car menacée par les jeux d'influence induits. Cet abandon à soi-même, palpitant, n'épargne toutefois pas de la panique causée par ce repli égocentrique. Parti si loin en soi-même, quelle garantie subsiste de pouvoir revenir au monde ?

Le scénario, mesuré mais de bon goût, épargne à Delphine la fin tragique ou même les cicatrices durables d'artistes plus torturés. Son être intérieur est une source où elle va puiser son inspiration et rafraîchir son identité, mais qui n'a pas vocation à éclater au grand jour de façon exhaustive et définitive. D'ailleurs, à voir la réaction contenue de son amie Oriane face au message très sec où elle exigeait d'être laissée tranquille, il est permis de croire que Delphine s'était déjà livrée à de telles noyades introspectives.

Ainsi le témoignage apparent, né d'une vie consacrée au cinéma : être fidèle à soi-même est une lutte dangereuse qui ne connaît pas de limites, et ne saurait donc constituer une fin raisonnable en soi. Le dernier mot appartient toutefois au spectateur. Faut-il croire en le recul qui serait prodigué par l'expérience, ou au contraire douter d'un artiste qui recherche à demi-mot, avec une peine certaine, la fougue de sa jeunesse ?