Ma cinéphilie a démarré en tombant à la télé sur Femmes au bord de la crise de nerfs, puis Collateral quelques semaines plus tard. Je ne comprenais pas bien ce qui se passait ni dans l'un ni dans l'autre, mais le caractère et la volonté des metteurs en scène était suffisamment prégnants à travers l'écran pour me marquer au fer rouge. Pendant des années, j'ai craint de relancer le film de Michael Mann, de peur d'y retrouver un polar passif et facile. À la faveur d'une insomnie, je m'y suis finalement attaqué. Et comme pour Enter the Void, comme pour Black Swan, je me suis aperçue avec surprise et émotion que Collateral avait façonné mon appréhension du monde bien au-delà de ce que je soupçonnais.
Collateral représente plus que n'importe quel autre film de Mann la notion d'expertise. Parce que Max et Vincent ne sont pas passionnés par ce qu'ils font, contrairement au héros de Thief, mais s'investissent corps et âme pour livrer le meilleur service dont ils sont capables. La mise en scène, vers le début du film, est particulièrement éloquante à ce sujet.
Collateral, c'est aussi le spleen urbain par excellence, plus encore peut-être que celui de Wong Kar-wai, car le présent qui enferme les personnages n'est pas parasité par l'amour ni les souvenirs. La ville se parcourt en solitaire, silencieusement, même quand des clients déballent leur vie sur la banquette de ton taxi, un mètre derrière toi. Le nombre et la variété de rencontres potentielles deviennent des sources d'anxiété, suivies du sentiment incessant des occasions manquées, et de la tentation de la fuite individualiste. Tracer une connexion significative tient presque du miracle.
Collateral, c'est surtout une confrontation avec l'angoisse existentialiste. Les fissures du néant, de l'arbitraire, de sa propre liberté, cachées derrière le papier peint de la routine et de la sécurité. Sous la pression de Vincent, Max prend conscience de la prépondérance du choix (et des mensonges qu'ils cultivaient) dans sa perception du monde et dans son avenir. Le scénario cultive l'idée que le savoir-faire ou l'inspiration sont des obstacles mineurs à l'accomplissement de soi, dérives défensives d'une peur aussi profonde qu'inutile.
Collateral, enfin, évoque de façon oblique ce à quoi tient l'humanité. De loin, l'affrontement entre Max et Vincent n'est pas sans rappeler la dialectique de Deckard et Batty dans Blade Runner. Max ayant pris conscience de son potentiel, des infinités qui s'ouvrent à lui, il ne sombre pas pour autant dans l'hypocrisie nihiliste de Vincent. Malgré sa déconstruction du monde, le tueur à gages reste un pion, un outil, condamné au métro car il a étouffé les choix qui se présentaient à lui. "Il te manque quelque chose", finit par comprendre Max, avec révolte et pitié. Ce que le scénario a délibérément omis d'accorder à Vincent, c'est la volonté de créer, d'être dans le néant.
La nuit, même les bureaux sont envahis de constellations électriques...
Ma cinéphilie a démarré en tombant à la télé sur Femmes au bord de la crise de nerfs, puis Collateral quelques semaines plus tard. Je ne comprenais pas bien ce qui se passait ni dans l'un ni dans l'autre, mais le caractère et la volonté des metteurs en scène était suffisamment prégnants à travers l'écran pour me marquer au fer rouge. Pendant des années, j'ai craint de relancer le film de Michael Mann, de peur d'y retrouver un polar passif et facile. À la faveur d'une insomnie, je m'y suis finalement attaqué. Et comme pour Enter the Void, comme pour Black Swan, je me suis aperçue avec surprise et émotion que Collateral avait façonné mon appréhension du monde bien au-delà de ce que je soupçonnais.
Collateral représente plus que n'importe quel autre film de Mann la notion d'expertise. Parce que Max et Vincent ne sont pas passionnés par ce qu'ils font, contrairement au héros de Thief, mais s'investissent corps et âme pour livrer le meilleur service dont ils sont capables. La mise en scène, vers le début du film, est particulièrement éloquante à ce sujet.
Collateral, c'est aussi le spleen urbain par excellence, plus encore peut-être que celui de Wong Kar-wai, car le présent qui enferme les personnages n'est pas parasité par l'amour ni les souvenirs. La ville se parcourt en solitaire, silencieusement, même quand des clients déballent leur vie sur la banquette de ton taxi, un mètre derrière toi. Le nombre et la variété de rencontres potentielles deviennent des sources d'anxiété, suivies du sentiment incessant des occasions manquées, et de la tentation de la fuite individualiste. Tracer une connexion significative tient presque du miracle.
Collateral, c'est surtout une confrontation avec l'angoisse existentialiste. Les fissures du néant, de l'arbitraire, de sa propre liberté, cachées derrière le papier peint de la routine et de la sécurité. Sous la pression de Vincent, Max prend conscience de la prépondérance du choix (et des mensonges qu'ils cultivaient) dans sa perception du monde et dans son avenir. Le scénario cultive l'idée que le savoir-faire ou l'inspiration sont des obstacles mineurs à l'accomplissement de soi, dérives défensives d'une peur aussi profonde qu'inutile.
Collateral, enfin, évoque de façon oblique ce à quoi tient l'humanité. De loin, l'affrontement entre Max et Vincent n'est pas sans rappeler la dialectique de Deckard et Batty dans Blade Runner. Max ayant pris conscience de son potentiel, des infinités qui s'ouvrent à lui, il ne sombre pas pour autant dans l'hypocrisie nihiliste de Vincent. Malgré sa déconstruction du monde, le tueur à gages reste un pion, un outil, condamné au métro car il a étouffé les choix qui se présentaient à lui. "Il te manque quelque chose", finit par comprendre Max, avec révolte et pitié. Ce que le scénario a délibérément omis d'accorder à Vincent, c'est la volonté de créer, d'être dans le néant.
La nuit, même les bureaux sont envahis de constellations électriques...