Coeur de verre

Herz aus Glas

un film de Werner Herzog (1976)

Un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens

Pile je me censure, face je fais dense, tranche ça importe.

File.

Je tenais en estime les surréalistes, et pourtant il a fallu que je redécouvre l'écriture automatique par moi-même pour comprendre ses implications, en scandant Elaenia ou en traversant le ciel. Et encore, ce n'est qu'en post-mortem que j'ai compris que ma recherche, d'autres l'avaient déjà parcourue. Proust et Rimbaud sont venus à bout des leurs, la mienne se profile tout juste.

Le scepticisme, c'est l'ivresse de l'impasse : l'aphorisme goguenard de Cioran n'était qu'une excuse pour ne pas choisir son camp, pour ne pas verser ma foi en la myriade de sens qui m'assaille. Ou peut-être juste une béquille, des œillères salvatrices, pour m'abriter des lumières trop éblouissantes tant que je n'avais pas regardé dans assez de directions. Mais le système commence à prendre forme, plantant ses fondations de la philosophie à la sociologie, de la neurobiologie à la psychologie... Tout ça en partant du cinéma ! La curiosité culturelle surpasse n'importe quel apprentissage scientifique et scolaire.

Puisque les Illuminations relèvent encore de la poésie ; puisque l'actorat survit à l'hypnose ; puisque le cinéma peut se passer de narration, voire d'écriture ; sans doute ma conception de l'activité critique reste-t-elle appropriée et pertinente. Quant à savoir si elle sera un jour jugée comme telle, probablement pas, mais j'ai bien mieux à faire que passer plusieurs années à pousser un manifeste aux Cahiers. Les stoïciens s'embarrassaient-ils d'un besoin de validation ?

Herz aus Glas, même s'il possède une trame dramatique, n'est guère moins expérimental que Fata Morgana. Le secret obsédant du verre rubis fournit juste l'ossature nécessaire à Herzog pour perpétrer sa propre recherche. Les visions panoramiques d'une jeunesse bavaroise s'imposent au montage comme les plans ruraux sur lesquels débutait Kaspar Hauser. Les éclairages flamands de Jörg Schmidt-Reitwein plongent les scènes intérieures dans des abysses subconscientes.

L'attraction attendue du film, c'est bien plutôt ces acteurs maintenus dans un état d'hypnose pour l'apprentissage et l'interprétation de leurs textes. Le projet de Herzog, loin du numéro de mentalisme, prolonge assez naturellement sa valse avec les couches profondes de l'esprit : peut-être les comédiens, délivrés de certains filtres de la conscience, parviendront-ils eux aussi à exprimer des vérités extatiques ?

La recherche se devait d'être accomplie, même si les résultats n'ont jamais approché du triomphe. La gestuelle imprévisible et les répliques improvisées pendant l'hypnose, étrangement cohérentes bien que résistantes aux interprétations, apportent un relief fuyant à l'histoire née en Herzog. Il y a sans doute là un argument en faveur du partage de rêves, de l'intersection des consciences individuelles, que le réalisateur évoque parfois derrière des formulations plus prudentes que les miennes. Remarquable pragmatisme que celui qui le pousse à choisir ses mots avec précaution pour défendre sans affabulations ce qu'il ressent intimement, tout en cultivant un entendement du réel aux lisières du fantastique.

Enfin cet autoportrait au sommet de la falaise, conquérant d'une prison insulaire, admirateur d'une nature ravageuse, point focal perdu et exalté entre des horizons titanesques...