Blade Runner: Black Out 2022

un film de Shinichirô Watanabe (2017)

Blade Runner : Vomi 2017

Les parties les plus fascinantes du making-of de Blade Runner, Dangerous Days, expliquaient la répartition improvisée du travail de direction artistique. Ridley Scott, capitaine et visionnaire, distribuait ses ordres et exigeait des ajustements jusqu'à obtenir satisfaction, ou bien jusqu'à ce que les producteurs exécutifs le menacent avec une barre de fer. Syd Mead, inspiré par le Moebius de Métal Hurlant, imaginait des designs futuristes et dessinait des croquis à tout rompre. Les plus petites mains alignaient les heures sans broncher, parfois avec la conviction d'accomplir un travail majeur, plus souvent dans la crainte que leur place soit occupée par d'autres ; quelles que soient leurs motivations, ils bidouillaient des carrosseries dans des garages, clouaient les chaises de l'appartement de Deckard, balançaient du liège partout dans le Bradbury Building pour nettoyer au plus vite et décaniller à l'aube, quand les costards-cravates reprenaient possession de leurs bureaux... Bref, ils ont créé un monde que personne n'avait vu, avec des idées et de la volonté.

Les trois court-métrages diffusés en amont de Blade Runner 2049, eux, sentent plutôt la paresse et le fric.

2036: Nexus Dawn, le plus sobre du lot, photocopie les couleurs de la Tyrell Corporation, et les personnages sortent d'un catalogue Armani, et pourtant ils se retrouvent entre les murs de l'appart décrépit de J.F. Sebastian. Seulement Jean-Fulbert semble avoir emporté ses possessions foisonnantes dans son tombeau, à l'exception d'une bibliothèque orpheline histoire de faire croire à quelques efforts pour rappeler l'antre du généticien. La direction artistique joue à plein régime sur l'évocation nostalgique, sans se soucier de construire une ambiance authentique ni le moindre questionnement. D'ailleurs les dialogues n'accomplissent qu'un travail d'exposition ronflant, qui rappelle la SF rationnelle et hâbleuse du Interstellar de Nolan mais aussi du Arrival de Villeneuve. Seul le Wallace de Jared Leto, malgré le remplacement éhonté de Tyrell, ressemble à quelque chose d'un peu nouveau et empêche de bailler furieusement.

Vient ensuite 2048: Nowhere to Run. Luke Scott, à nouveau aux commandes, s'amuse à tourner Los Angeles dans les mêmes décors et avec les mêmes éclairages que son père. Mettant de côté les femmes vulnérables, motif scénaristique moisi que Fancher et Peoples avaient eu le bon goût de rejeter dès les années 80, la farce touche jusqu'aux figurants, blancs pour la plupart, avec quand même une caution asiatique sur exactement deux plans. Ça va, on a décomplexé depuis le vendeur de nouilles du premier film, hein...

Vous trouvez pas ça profondément honteux de resservir exactement ce qui a déjà été créé, sans fournir un seul effort d'originalité ? L'injure vaut pour les équipes artistiques qui se sont démenées pour donner chair à la nouvelle de Philip K. Dick et pour représenter un avenir qui soit le reflet déformé de leur époque, mais c'est aussi l'univers de fiction qui est discrédité, vu que trente années ne signifient apparemment rien dans cette diégèse. Et d'essayer de faire passer la pilule avec un peu de baston. Je n'ai pas vu son long-métrage Morgan, mais Luke n'est clairement pas là pour ses talents créatifs ; ça sent le népotisme élémentaire et crasseux.

Pourtant le prix de la pestilence revient à Shinichiro Watanabe. Malgré tout le respect que je lui dois pour Cowboy Bebop, son court-métrage Black Out 2022 ressemble à un bronze contrariant qu'il aurait dû couler en pleine nuit, après avoir mâchouillé le film de 1982 la veille au soir. J'aurais pu me dire que les cabrioles de Trixie, qui reproduisent la gymnastique létale de Pris, étaient une affaire de programme recyclé. J'aurais pu lâcher un sourire complice au cityspeak de Gaff. Mais à force de multiplier ces clins d'œil largement creux, il est clair que Watanabe n'avait ni le temps ni la motivation pour écrire quoi que ce soit d'intéressant, et s'est rabattu par défaut sur un travail de repompage paresseux.

Il suffisait de se fier aux premiers plans, qui reproduisent la police d'écriture et le Hades Landscape de l'introduction culte, jusqu'aux colonnes de pollution embrasées, sur fond de Vangelis timidement retouché par Flying Lotus... L'animation protéiforme, pas franchement flatteuse pour l'œil, ressemble à un vidage de placard catastrophé, on farfouille dans les idées rejetées pour meubler une commande encombrante. Je m'abstiendrai de commenter sérieusement la niaiserie sentencieuse des dialogues, qui me donne quand même envie d'envoyer quelques glaviots bien sentis à la face des personnages. Mais le morceau du générique, quoi. Le r'n'b à la Skyrock. Les paroles. Pitié.

J'ai envie de continuer à croire un peu à ce Blade Runner 2049, mais quand le studio s'associe à une hybrid creative marketing agency and consultancy pour pondre des produits de consommation pareils, qui salissent l'essentiel des valeurs grâce auxquelles le film d'origine a vu le jour, je dois bien dire que je trouve que ça pue sérieusement. Espérons que la suite ne soit pas à l'image de cette trilogie publicitaire et flagorneuse, obsédée par les références censées provoquer des tilts stériles, blasée et mensongère à l'idée de la science-fiction.