Big Eyes est une cible bien trop facile à descendre. Il y a l'absence de commentaire de la part du scénario, qui rend le récit du fait divers terriblement plat. La voix off, l'accompagnement musical pesant et la plâtrée de bons sentiments, qui plongent le spectateur dans un territoire de clichés hollywoodiens. La direction d'acteurs déplorable, avec Amy Adams qui évolue dans un registre tragique et Christoph Waltz aux antipodes, constamment coincé dans un costume de clown. C'est un film de laissez-faire : Burton a dit à son casting et à ses équipes techniques de jouer ce qu'ils connaissaient le mieux, et chacun s'est retrouvé à suivre des repères de l'industrie complètement usés, et pas toujours cohérents les uns par rapport aux autres.
Big Eyes est une victime vraiment évidente, et ça ne m'intéresse pas d'appuyer ses défauts. Mais je suis (rhétoriquement) surpris que la critique qui lui soit le plus couramment adressée est de « ne pas être un Burton ». Au contraire, avec Ed Wood, ce film est un des plus intimes du réalisateur à la moquette de cheveux indomptable. S'il semble avoir assez tôt lâché les rênes de son projet, c'est qu'il était suffisamment satisfait de produire un scénario autour des déboires de Margaret Keane. Car cette histoire, c'est aussi la sienne.
Le parallèle n'est évidemment pas à tracer avec la rocambolesque affaire de plagiat en couple que le récit s'échine à aseptiser, mais avec le rapport à l'art qu'entretient Margaret Keane. Elle est incapable d'expliquer ses peintures d'enfants, innocents et vaguement glauques, autrement qu'avec un « c'est personnel » suprêmement élusif et creux. Grâce à de bons contacts et à une flatterie du marché impeccablement commerciale, ses peintures ont rencontré un succès populaire croissant. Ses toiles sont devenus des produits de consommation, la vente de produits dérivés a explosé, son nom était sur toutes les bouches. Les tableaux ont été déclinés en de multiples exemplaires, avec des variations artificielles, car leur auteur se montre dans l'ensemble incapable de réaliser autre chose, et de toute façon le public achète plus facilement une formule répétée plutôt qu'une remise en question. Tout le portrait de Verres-Teintés, dont le crescendo de films macabro-pastel a culminé avec le milliard de recettes du désolant Alice in Wonderland en 2010.
Le rapprochement est d'autant plus approprié qu'il se prolonge à la phase d'émancipation de Margaret Keane. Blessée dans son amour-propre par des critiques incendiaires, et réalisant que ses créations ont échappé à son contrôle, elle tente d'enclencher un virage artistique et troque les gamins écarquillés contre des autoportraits filiformes. Prenant conscience de la part de responsabilité de son mari par rapport au cul-de-sac créatif dans lequel elle se trouve, elle finit par s'en séparer. Comment ne pas penser à l'accueil cinéphile, au pire frigide, au mieux indifférent, qui a accompagné toutes les sorties de Burton depuis Big Fish il y a plus de dix ans ? Et comment ne pas voir, dans la séparation d'avec une Helena Bonham Carter notoirement lugubre, la mise au placard d'un Johnny Depp dégénérescent, et le développement d'un vilain petit canard Big Eyes, une tentative désespérée de réinvention ? Ironiquement, en montrant la renaissance ratée de Keane, Big Eyes va jusqu'à prédire son propre échec critique et commercial...
En dépit de ce revers prévisible, les succès passés de Burton, Ed Wood plus que tous les autres, donnent envie de l'encourager dans cette nouvelle voie aventureuse. Le souci, c'est que Big Eyes n'est absolument pas la garantie d'un succès à terme. Au-delà du catalogue Ikea d'erreurs grossières et de son apparente désinvolture par rapport au projet, l'auteur de Gothic for Dummies semble se rallier à l'opinion de Margaret Keane sur la production artistique. Elle affirme à plusieurs reprises qu'elle cherche d'abord à toucher les gens et à leur offrir ce qu'ils souhaitent, autrement dit elle n'a rien contre se répéter si ça vend. De plus, elle se moque allègrement de la critique et va presque jusqu'à la mépriser frontalement. Ce n'est pas un hasard si, de tout le film, Burton ne la laisse rejoindre l'avis de son trublion de mari qu'uniquement lors de la scène où ce dernier s'en prend à un critique surnaturellement hautain du New York Times. La moue réprobatrice d'Amy Adams est éloquente, à croire que le Tim s'est réveillé et a commencé à donner des consignes pour être sûr que ce message-là ne soit pas manqué. Dans son rôle de galeriste, Jason Schwartzman confirme qu'il excelle à interpréter le mépris, et achève d'exprimer la rupture entre Burton et ses détracteurs. En ça, Big Eyes se rapproche beaucoup de Birdman, dans lequel un Iñárritu tout aussi frustré des jugements très tièdes portés sur Babel, puis Biutiful, se vengeait en mettant en scène, face au héros Keaton, une critique ridiculement acariâtre et suffisante. Les deux réalisateurs, non contents d'avoir en commun le même scalp sauvage et hirsute, partagent aussi une vanité certaine.
Qu'il soit clair que je n'ai pas grand-chose contre un cinéma populaire et/ou peu réfléchi. Il y a bien assez de films qui coexistent avec les productions à gros budget et qui permettent de s'échauffer les neurones. Mais que Burton ait conscience des faiblesses de ce qu'il accomplit tout en revendiquant une quelconque supériorité, voilà qui devient gênant et agaçant. Il semble avoir dépassé le stade du lycéen torturé, mais son attitude s'est rapprochée de l'artiste crâneur mécompris. S'il faut attendre à nouveau 20 ans avant une prochaine étape potentiellement intéressante, je ne lui reprocherais pas de faire marche arrière tout de suite.
Introspection et doutes
Big Eyes est une cible bien trop facile à descendre. Il y a l'absence de commentaire de la part du scénario, qui rend le récit du fait divers terriblement plat. La voix off, l'accompagnement musical pesant et la plâtrée de bons sentiments, qui plongent le spectateur dans un territoire de clichés hollywoodiens. La direction d'acteurs déplorable, avec Amy Adams qui évolue dans un registre tragique et Christoph Waltz aux antipodes, constamment coincé dans un costume de clown. C'est un film de laissez-faire : Burton a dit à son casting et à ses équipes techniques de jouer ce qu'ils connaissaient le mieux, et chacun s'est retrouvé à suivre des repères de l'industrie complètement usés, et pas toujours cohérents les uns par rapport aux autres.
Big Eyes est une victime vraiment évidente, et ça ne m'intéresse pas d'appuyer ses défauts. Mais je suis (rhétoriquement) surpris que la critique qui lui soit le plus couramment adressée est de « ne pas être un Burton ». Au contraire, avec Ed Wood, ce film est un des plus intimes du réalisateur à la moquette de cheveux indomptable. S'il semble avoir assez tôt lâché les rênes de son projet, c'est qu'il était suffisamment satisfait de produire un scénario autour des déboires de Margaret Keane. Car cette histoire, c'est aussi la sienne.
Le parallèle n'est évidemment pas à tracer avec la rocambolesque affaire de plagiat en couple que le récit s'échine à aseptiser, mais avec le rapport à l'art qu'entretient Margaret Keane. Elle est incapable d'expliquer ses peintures d'enfants, innocents et vaguement glauques, autrement qu'avec un « c'est personnel » suprêmement élusif et creux. Grâce à de bons contacts et à une flatterie du marché impeccablement commerciale, ses peintures ont rencontré un succès populaire croissant. Ses toiles sont devenus des produits de consommation, la vente de produits dérivés a explosé, son nom était sur toutes les bouches. Les tableaux ont été déclinés en de multiples exemplaires, avec des variations artificielles, car leur auteur se montre dans l'ensemble incapable de réaliser autre chose, et de toute façon le public achète plus facilement une formule répétée plutôt qu'une remise en question. Tout le portrait de Verres-Teintés, dont le crescendo de films macabro-pastel a culminé avec le milliard de recettes du désolant Alice in Wonderland en 2010.
Le rapprochement est d'autant plus approprié qu'il se prolonge à la phase d'émancipation de Margaret Keane. Blessée dans son amour-propre par des critiques incendiaires, et réalisant que ses créations ont échappé à son contrôle, elle tente d'enclencher un virage artistique et troque les gamins écarquillés contre des autoportraits filiformes. Prenant conscience de la part de responsabilité de son mari par rapport au cul-de-sac créatif dans lequel elle se trouve, elle finit par s'en séparer. Comment ne pas penser à l'accueil cinéphile, au pire frigide, au mieux indifférent, qui a accompagné toutes les sorties de Burton depuis Big Fish il y a plus de dix ans ? Et comment ne pas voir, dans la séparation d'avec une Helena Bonham Carter notoirement lugubre, la mise au placard d'un Johnny Depp dégénérescent, et le développement d'un vilain petit canard Big Eyes, une tentative désespérée de réinvention ? Ironiquement, en montrant la renaissance ratée de Keane, Big Eyes va jusqu'à prédire son propre échec critique et commercial...
En dépit de ce revers prévisible, les succès passés de Burton, Ed Wood plus que tous les autres, donnent envie de l'encourager dans cette nouvelle voie aventureuse. Le souci, c'est que Big Eyes n'est absolument pas la garantie d'un succès à terme. Au-delà du catalogue Ikea d'erreurs grossières et de son apparente désinvolture par rapport au projet, l'auteur de Gothic for Dummies semble se rallier à l'opinion de Margaret Keane sur la production artistique. Elle affirme à plusieurs reprises qu'elle cherche d'abord à toucher les gens et à leur offrir ce qu'ils souhaitent, autrement dit elle n'a rien contre se répéter si ça vend. De plus, elle se moque allègrement de la critique et va presque jusqu'à la mépriser frontalement. Ce n'est pas un hasard si, de tout le film, Burton ne la laisse rejoindre l'avis de son trublion de mari qu'uniquement lors de la scène où ce dernier s'en prend à un critique surnaturellement hautain du New York Times. La moue réprobatrice d'Amy Adams est éloquente, à croire que le Tim s'est réveillé et a commencé à donner des consignes pour être sûr que ce message-là ne soit pas manqué. Dans son rôle de galeriste, Jason Schwartzman confirme qu'il excelle à interpréter le mépris, et achève d'exprimer la rupture entre Burton et ses détracteurs. En ça, Big Eyes se rapproche beaucoup de Birdman, dans lequel un Iñárritu tout aussi frustré des jugements très tièdes portés sur Babel, puis Biutiful, se vengeait en mettant en scène, face au héros Keaton, une critique ridiculement acariâtre et suffisante. Les deux réalisateurs, non contents d'avoir en commun le même scalp sauvage et hirsute, partagent aussi une vanité certaine.
Qu'il soit clair que je n'ai pas grand-chose contre un cinéma populaire et/ou peu réfléchi. Il y a bien assez de films qui coexistent avec les productions à gros budget et qui permettent de s'échauffer les neurones. Mais que Burton ait conscience des faiblesses de ce qu'il accomplit tout en revendiquant une quelconque supériorité, voilà qui devient gênant et agaçant. Il semble avoir dépassé le stade du lycéen torturé, mais son attitude s'est rapprochée de l'artiste crâneur mécompris. S'il faut attendre à nouveau 20 ans avant une prochaine étape potentiellement intéressante, je ne lui reprocherais pas de faire marche arrière tout de suite.