Aquarius

un film de Kleber Mendonça Filho (2016)

vu le 13 octobre 2016
à l'Étoile Saint-Germain-des-Prés

Je suis heureux de constater et d'annoncer que les quelques reproches que j'avais adressés à KMF pour Les Bruits de Recife sont joyeusement étrangers à mon expérience d'Aquarius. J'étais un peu claqué au début de la séance, pourtant le film était tellement fluide et généreux que la fin m'a complètement pris de court. Je pensais qu'il restait une heure au bas mot...

Recife avait une structure chorale qui délayait le récit et floutait les personnages ? Aquarius se concentre sur une heroïne, campée par une actrice magistrale, et dans un rôle où je peux complètement me projeter. Tour à tour affable, menaçante, sensible, doucereuse, pincée et délurée, l'écriture fouillée la rend passionnante. L'impact des souvenirs, qui préoccupent le réalisateur bien plus que les dynamiques immobilières littorales, n'en est que plus dévastateur.

Recife était trop inscrit dans le temps, piégé dans l'espace de cette banlieue résidentielle cossue ? Aquarius s'ouvre sur un flash-back voluptueux, qui offre aux actions et aux passions de Clara une résonance majestueuse. Et puis le scénario se frotte à plusieurs générations, plusieurs milieux sociaux, plusieurs localisations.

Recife ennuyait un peu par ses aspects pré-mâchés de drame social un peu glauque ? Aquarius utilise son intrigue immobilière comme un prétexte pour se composer dans plusieurs registres : drame familial (pas prééminent, mais dont les scènes sont vraiment marquantes), thriller, incursions fantastiques, coming-of-age...

Recife trouvait ultimement ses limites dans son discours négatif, qui expliquait et dénonçait les hypocrisies du Brésil moderne mais sans proposer de remède ? Aquarius se situe de l'autre côté du miroir. KMF cherche toujours à piéger l'ennemi (le rictus brisé du jeune promoteur est une victoire aussi discrète que centrale), mais s'attache nettement plus à dépeindre ses propres valeurs à travers Clara. Un amour de l'art, qui mélange la culture populaire aux goûts élitistes (mais jamais condescendants !). Un attachement pas si irrationnel à la matière, aux souvenirs qu'elle porte ; un culte personnel et intime de la permanence.

Évidemment, une telle densité ne s'atteint pas sans une mise en scène exceptionnelle, qui laisse respirer le film au-delà de sa simple écriture. Sur ce plan, KMF concrétise les attentes que j'avais pu placer en lui. Non seulement il est parvenu à reformuler son culte du son sans que ça passe pour un gimmick, à l'aide d'un ancrage intradiégétique redoutable : Clara, critique de musique, était la complice idéale. Mais en plus, sa gestion de l'image s'est affinée, avec une utilisation variée mais jamais bariolée de zooms, jump cuts, fondus, plans-séquences, et mille autre procédés. Le gars ne s'impose rien, mais il offre les techniques au bon moment, avec une perspicacité qui prend onctueusement la suite de la surprise initiale. Sans réinventer la roue, il évite les pièges festivaliers, s'amuse, expérimente et réussit en même temps. J'ai passé l'essentiel de la séance dans une apesanteur bienheureuse.