Face à ce déferlement de chairs et de couleurs, tentons une approche thématique. En démêlant les multiples niveaux de récit candidement agrafés les uns aux autres, l'histoire d'Antiporno s'avère relativement simple. Le récit d'une fille qui, partagée entre la culpabilité pudique (du fait de ses parents, de la société) et le désir sexuel (du fait de ses parents à nouveau, et puis d'elle-même comme femme, simplement), cherche une résolution par l'émancipation en jouant dans un film rose.
Sion Sono, pour cet hommage au genre commandé par la Nikkatsu, se montre ingénieusement à la fois complice et détracteur. Friand en actrices dénudées et fantasmes un poil étranges, il ne franchit jamais pour autant la barre du vulgaire, de l'avilissement pornographique. C'est que son projet, derrière les interprétations criardes et les visuels léchés, repose avant tout sur l'ambivalence au cœur du genre, et à la limite de l'abstraction : le plaisir de puissance né de la domination à l'écran. Pas de dominatrice sans dominée, cela dit, et c'est bien pour ça que le personnage principal devra passer par tous les rôles pour que le public les vive à son tour, les comprenne, les juge.
Je pense, en tout cas, qu'il s'agit de l'effet recherché par le réalisateur. Comme me l'a fait remarquer un acolyte, le procédé narratif est très similaire au déroulement d'Inland Empire : brouiller les pistes et les réalités jusqu'à ce que le spectateur finisse par s'en remettre complètement et simultanément aux actions et aux émotions de l'héroïne. La différence avec Lynch qui, me semblait-il, agissait en formaliste magicien débridé, tient à ce que Sono revient constamment à l'examen du Roman Porno nippon.
À l'image des personnages féminins qui oscillent entre l'adulation éperdue de la fiction fantasmée, et le rejet viscéral d'une esthétique de l'humiliation, Antiporno paraît dénoncer le piège social né des principes du genre. En dépit du maelström de mise en scène qui fait s'apparenter l'expérience à un test de Rorschach, j'ai presque la certitude que Sono, bien qu'il prenne plaisir à jouer avec ces codes pervers, se montre en définitive résolument critique vis-à-vis de l'impact de ces productions. L'esprit frondeur de libération sexuelle, qui animait leur réalisation et leur distribution, semble en effet avoir été payé au prix fort dans la sphère publique : les mœurs se sont rigidifiées, l'omertà misogyne règne. Les attitudes irascibles et malheureuses des personnages, étrangers au sentiment de confiance, retranscrivent la frustration profonde d'une gente féminine tenue dans la culpabilité et la honte.
Comparé à Love Exposure, qui tournait et virait en tout sens mais sans réussir (du moins sur ce plan thématique) à articuler quoi que ce soit de mémorable, Antiporno brille par sa concision et ses propositions d'idées ciblées. Qu'importe, alors, si la mise en forme tonique a agi en porte-à-faux avec mes tentatives analytiques, si la charge érotique de certaines séquences m'a laissé de marbre, si les jérémiades japonaises ont rogné ma patience, si l'utilisation de musique classique m'a moins évoqué une signature savoureuse qu'un gimmick à dépasser. Antiporno brûle d'un feu torride, mais se laisse aussi apprécier à froid.
Il est interdit d'interdire
Face à ce déferlement de chairs et de couleurs, tentons une approche thématique. En démêlant les multiples niveaux de récit candidement agrafés les uns aux autres, l'histoire d'Antiporno s'avère relativement simple. Le récit d'une fille qui, partagée entre la culpabilité pudique (du fait de ses parents, de la société) et le désir sexuel (du fait de ses parents à nouveau, et puis d'elle-même comme femme, simplement), cherche une résolution par l'émancipation en jouant dans un film rose.
Sion Sono, pour cet hommage au genre commandé par la Nikkatsu, se montre ingénieusement à la fois complice et détracteur. Friand en actrices dénudées et fantasmes un poil étranges, il ne franchit jamais pour autant la barre du vulgaire, de l'avilissement pornographique. C'est que son projet, derrière les interprétations criardes et les visuels léchés, repose avant tout sur l'ambivalence au cœur du genre, et à la limite de l'abstraction : le plaisir de puissance né de la domination à l'écran. Pas de dominatrice sans dominée, cela dit, et c'est bien pour ça que le personnage principal devra passer par tous les rôles pour que le public les vive à son tour, les comprenne, les juge.
Je pense, en tout cas, qu'il s'agit de l'effet recherché par le réalisateur. Comme me l'a fait remarquer un acolyte, le procédé narratif est très similaire au déroulement d'Inland Empire : brouiller les pistes et les réalités jusqu'à ce que le spectateur finisse par s'en remettre complètement et simultanément aux actions et aux émotions de l'héroïne. La différence avec Lynch qui, me semblait-il, agissait en formaliste magicien débridé, tient à ce que Sono revient constamment à l'examen du Roman Porno nippon.
À l'image des personnages féminins qui oscillent entre l'adulation éperdue de la fiction fantasmée, et le rejet viscéral d'une esthétique de l'humiliation, Antiporno paraît dénoncer le piège social né des principes du genre. En dépit du maelström de mise en scène qui fait s'apparenter l'expérience à un test de Rorschach, j'ai presque la certitude que Sono, bien qu'il prenne plaisir à jouer avec ces codes pervers, se montre en définitive résolument critique vis-à-vis de l'impact de ces productions. L'esprit frondeur de libération sexuelle, qui animait leur réalisation et leur distribution, semble en effet avoir été payé au prix fort dans la sphère publique : les mœurs se sont rigidifiées, l'omertà misogyne règne. Les attitudes irascibles et malheureuses des personnages, étrangers au sentiment de confiance, retranscrivent la frustration profonde d'une gente féminine tenue dans la culpabilité et la honte.
Comparé à Love Exposure, qui tournait et virait en tout sens mais sans réussir (du moins sur ce plan thématique) à articuler quoi que ce soit de mémorable, Antiporno brille par sa concision et ses propositions d'idées ciblées. Qu'importe, alors, si la mise en forme tonique a agi en porte-à-faux avec mes tentatives analytiques, si la charge érotique de certaines séquences m'a laissé de marbre, si les jérémiades japonaises ont rogné ma patience, si l'utilisation de musique classique m'a moins évoqué une signature savoureuse qu'un gimmick à dépasser. Antiporno brûle d'un feu torride, mais se laisse aussi apprécier à froid.