Alundra

un jeu de Matrix Software (1997)

Nonobstant l'isométrie bâtarde qui épice certaines phases de plateforme, les motifs d'exploration et d'équipement qui animent Alundra poussent à le situer dans la lignée des jeux d'aventure à la Zelda. L'écriture, cependant, agit à un tout autre niveau, et rend l'expérience plus intense. L'anticléricalisme manifeste de l'intrigue forme déjà une distinction assez spectaculaire, et les relations composites qui soudent le village central relèvent aussi d'un humanisme mature qui (pour moi) favorise l'investissement émotionnel.

L'ambivalence de la perception publique du personnage incarné, ainsi que l'incertitude morale des actions auxquelles il prend part, ont peu à peu creusé une anxiété dans l'accord généralement transparent et naïf qui me relie à mes avatars vidéoludiques. Qui peut juger du bien-fondé de la rupture de mœurs que je porte ? Et combien de temps encore pourrai-je me dissocier des morts rituelles qui s'abattent sur le village ? Alundra brise le fantasme inscrit en filigrane des scénarios d'une majorité de jeux, selon lequel ce qui est fait doit être fait. L'émergence dramatique d'une indirection entre l'acte et le bien (ou sous un autre angle : la dissolution d'une vérité objective) relève d'un existentialisme qui m'affecte à un degré plus intime que les récits traditionnels.

Au fil de l'évolution des pratiques narratives, cette perspective a gagné du terrain ; je pense au hasard à BioShock, ou The Last of Us Part II, dont les histoires incitent avec véhémence à remettre en question la pertinence des actions engagées par leurs protagonistes. Mais la suggestion n'est généralement pas sincère. Jack est manipulé par Atlas. Ellie est victime de PTSD. Les équipes en charge de l'écriture cherchent à déresponsabiliser leurs personnages. Elles n'osent pas mettre les joueurs et les joueuses en face de leur liberté. Au contraire, Alundra n'est jamais présenté en tant qu'objet. En dépit de certains traits naïfs, il est agent du monde dans lequel il s'inscrit, avec toute l'angoisse que cette position implique.

C'est un pas dans la bonne direction. L'étape suivante consisterait à s'affranchir du filtre de la représentation, à convoquer cette liberté de manière plus percutante que par un proxy fictif. Les jeux d'aventure ne m'ont pas encore convaincue de leur pouvoir à ce niveau, mais je crois en la capacité du média pour présenter, à terme, des réponses à ce défi.