Il y avait, dans Les Revenants et paradoxalement plus encore dans Eastern Boys, un sens du mystère qui fait complètement défaut au troisième long-métrage de Robin Campillo. Le travail du réalisateur a ici le charme assez limité du déterrage d'archives, dans le but de recomposer le milieu militant de lutte contre le VIH et le sida au début des années 90, et évidemment, de sensibiliser le public d'aujourd'hui à la minorité des séropositifs, malmenée par les services publics et l'industrie pharmaceutique, et amplement ignorée par les médias. L'intention est excellente, et l'évolution des mentalités gagnerait sans doute à être relancée. L'enjeu est d'autant plus fort que le public des années 2010, désensibilisé par plusieurs années de campagne anti-épidémique, a tendance à négliger un risque qui subsiste pourtant.
Seulement tout ça, c'est moins du cinéma que du journalisme. Qu'il s'agisse du portrait de l'association Act Up-Paris, rythmée par les assemblées générales, les interventions sur le terrain, les engueulades de couloir, les dîners entre potes et les défilés publics ; ou bien des explications sur les méthodes de prévention de la transmission du virus et des maigres traitements médicaux disponibles à l'époque, 120 battements par minute remplit avant tout une mission pédagogique. Une visée d'autant plus éloignée de toute ambition artistique à mes yeux, que je n'ai pas la sensation d'avoir appris de nouvelles choses. En grattant la surface de paillettes, se révèle une préoccupation sociale finalement pas si éloignée de La Loi du marché ou La Tête haute, acclamés à Cannes deux ans plus tôt. Ce cinéma utilitaire et pragmatique, plus soucieux de son impact moral que de la recherche du sublime, me fait toujours aussi peu vibrer.
D'ailleurs Campillo a bien conscience de la tolérance limitée du public face à une telle insistance rhétorique, et opère pour la dernière heure un virage vers une romance contrariée par la maladie, aux ressorts narratifs et à la grammaire visuelle aussi rassurants que convenus. L'émotion, facile et artificielle, n'est pas représentative du premier acte, mais sans cette intervention des sentiments sous prétexte de dépeindre la dimension personnelle du drame de l'épidémie, nul doute que le contenu ouvertement militant, conflictuel et agressif, aurait été reçu avec moins d'acclamation ferventes et plus de scepticisme méfiant de la part des spectateurs.
Cependant... Est-il même permis de voir en 120 battements par minute un reportage pertinent, alors que l'essentiel du public, par le système éducatif ou par la presse, possède depuis déjà plusieurs années une opinion du sujet qui conditionne l'utilisation du savoir acquis ? Peut-on lutter contre une indifférence déjà installée en multipliant l'offre de connaissances, et en conservant un format si consensuel ? Campillo n'a pas trop froid aux yeux sur les scènes de sexe (rohlala du sperme), mais quand il faudrait montrer les syndromes de la maladie, il préfère se réfugier dans le portrait stéréotypé d'un veuf éploré. Jusqu'aux derniers plans, les homos veulent faire la fête et baiser, et ils y parviendront quoi qu'il arrive. Le spectateur est gracié : la victime, ce n'est pas moi, c'est l'autre. Moi je vivrai éternellement. Et deux fois éternellement si je suis hétéro, tiens. Ouf.
Puisque j'ai dépassé le stade où je retenais mes coups, je me permettrai d'ajouter que 120 battements par minute, pudique et d'avance peu efficace dans son opération de sensibilisation, flirte avec l'hypocrisie quand il s'agit d'évaluer sa véritable volonté militante. Loin du contexte de lutte en faveur du mariage pour tous dans lequel La Vie d'Adèle a été parachuté, je ne suis pas certain qu'il puisse encore exister de débat sur le sida. Car évidemment, personne ne défend le sida, en dehors d'imbéciles extrémistes qui fantasment sur une éradication de la communauté gay, qui ne se laisseront jamais convaincre par une œuvre partisane, et que j'espère que les médias auront la décence d'ignorer (à la mesure de leur représentativité et de leur ignorance crasse) au moment de la sortie nationale du film. Il n'y a pas de débat, alors malgré sa bonne volonté louable, Campillo ne fait guère plus que brosser le spectateur dans le sens du poil pubien.
Pourtant les options étaient nombreuses. Il est presque malsain de mentionner sagement les toxicos, les prostitués et les prisonniers, sans jamais montrer un seul représentant de ces communautés, ni même discuter quelques minutes des enjeux qui leur sont spécifiques. Le récit met de jeunes gays sur le devant de la scène, avec Adèle Haenel comme caution lesbienne, mais si vraiment Campillo souhaitait remuer les pensées, il aurait dû construire un scénario qui accorde un minimum de visibilité à des franges sociales encore plus en mal d'exposition aujourd'hui. Qu'il s'agisse des groupes cités précédemment, d'hétéros, de vieux, du ruraux, de transgenres, d'immigrants, le sida est un problème global et actuel que le film ne fait qu'attaquer de façon tristement lisse, et presque stigmatisante tant il laisse sur la touche tous ceux qui ne collent pas à l'image contemporaine de l'homosexuel libéré.
Je lance une bouée de sauvetage à Campillo : j'imagine qu'il parle d'un milieu qu'il a connu, et auquel il a souhaité rendre hommage, tout en essayant de délivrer un message de prévention optimiste au public d'aujourd'hui. Et je comprends qu'il soit à la fois rassurant et enivrant de parler de sa propre expérience ; moi-même, si je grogne contre la bienséance du film, c'est en partie parce que je ne me retrouve pas dans la binarité du genre, et que j'ai un intérêt personnel à ce que la question des transidentités soit considérée dans la sphère publique. Mais enfin si Campillo et ses producteurs souhaitaient avoir un impact sur un sujet social complexe, il aurait fallu qu'ils soient capables de réaliser le même film au moins quinze ans plus tôt... ou bien qu'ils s'emparent d'autres problématiques qui attendent toujours le feu des projecteurs, et s'engagent dans des controverses pas encore publiquement démêlées.
Oui, si je râle, c'est que j'espère voir les mentalités changer, fleurir, s'embellir. Et dans mon attente, je supporte mal que quiconque puisse se bercer de l'illusion que 120 battements par minute contribue au moindre progrès social.
Le sida en toute sécurité
Il y avait, dans Les Revenants et paradoxalement plus encore dans Eastern Boys, un sens du mystère qui fait complètement défaut au troisième long-métrage de Robin Campillo. Le travail du réalisateur a ici le charme assez limité du déterrage d'archives, dans le but de recomposer le milieu militant de lutte contre le VIH et le sida au début des années 90, et évidemment, de sensibiliser le public d'aujourd'hui à la minorité des séropositifs, malmenée par les services publics et l'industrie pharmaceutique, et amplement ignorée par les médias. L'intention est excellente, et l'évolution des mentalités gagnerait sans doute à être relancée. L'enjeu est d'autant plus fort que le public des années 2010, désensibilisé par plusieurs années de campagne anti-épidémique, a tendance à négliger un risque qui subsiste pourtant.
Seulement tout ça, c'est moins du cinéma que du journalisme. Qu'il s'agisse du portrait de l'association Act Up-Paris, rythmée par les assemblées générales, les interventions sur le terrain, les engueulades de couloir, les dîners entre potes et les défilés publics ; ou bien des explications sur les méthodes de prévention de la transmission du virus et des maigres traitements médicaux disponibles à l'époque, 120 battements par minute remplit avant tout une mission pédagogique. Une visée d'autant plus éloignée de toute ambition artistique à mes yeux, que je n'ai pas la sensation d'avoir appris de nouvelles choses. En grattant la surface de paillettes, se révèle une préoccupation sociale finalement pas si éloignée de La Loi du marché ou La Tête haute, acclamés à Cannes deux ans plus tôt. Ce cinéma utilitaire et pragmatique, plus soucieux de son impact moral que de la recherche du sublime, me fait toujours aussi peu vibrer.
D'ailleurs Campillo a bien conscience de la tolérance limitée du public face à une telle insistance rhétorique, et opère pour la dernière heure un virage vers une romance contrariée par la maladie, aux ressorts narratifs et à la grammaire visuelle aussi rassurants que convenus. L'émotion, facile et artificielle, n'est pas représentative du premier acte, mais sans cette intervention des sentiments sous prétexte de dépeindre la dimension personnelle du drame de l'épidémie, nul doute que le contenu ouvertement militant, conflictuel et agressif, aurait été reçu avec moins d'acclamation ferventes et plus de scepticisme méfiant de la part des spectateurs.
Cependant... Est-il même permis de voir en 120 battements par minute un reportage pertinent, alors que l'essentiel du public, par le système éducatif ou par la presse, possède depuis déjà plusieurs années une opinion du sujet qui conditionne l'utilisation du savoir acquis ? Peut-on lutter contre une indifférence déjà installée en multipliant l'offre de connaissances, et en conservant un format si consensuel ? Campillo n'a pas trop froid aux yeux sur les scènes de sexe (rohlala du sperme), mais quand il faudrait montrer les syndromes de la maladie, il préfère se réfugier dans le portrait stéréotypé d'un veuf éploré. Jusqu'aux derniers plans, les homos veulent faire la fête et baiser, et ils y parviendront quoi qu'il arrive. Le spectateur est gracié : la victime, ce n'est pas moi, c'est l'autre. Moi je vivrai éternellement. Et deux fois éternellement si je suis hétéro, tiens. Ouf.
Puisque j'ai dépassé le stade où je retenais mes coups, je me permettrai d'ajouter que 120 battements par minute, pudique et d'avance peu efficace dans son opération de sensibilisation, flirte avec l'hypocrisie quand il s'agit d'évaluer sa véritable volonté militante. Loin du contexte de lutte en faveur du mariage pour tous dans lequel La Vie d'Adèle a été parachuté, je ne suis pas certain qu'il puisse encore exister de débat sur le sida. Car évidemment, personne ne défend le sida, en dehors d'imbéciles extrémistes qui fantasment sur une éradication de la communauté gay, qui ne se laisseront jamais convaincre par une œuvre partisane, et que j'espère que les médias auront la décence d'ignorer (à la mesure de leur représentativité et de leur ignorance crasse) au moment de la sortie nationale du film. Il n'y a pas de débat, alors malgré sa bonne volonté louable, Campillo ne fait guère plus que brosser le spectateur dans le sens du poil pubien.
Pourtant les options étaient nombreuses. Il est presque malsain de mentionner sagement les toxicos, les prostitués et les prisonniers, sans jamais montrer un seul représentant de ces communautés, ni même discuter quelques minutes des enjeux qui leur sont spécifiques. Le récit met de jeunes gays sur le devant de la scène, avec Adèle Haenel comme caution lesbienne, mais si vraiment Campillo souhaitait remuer les pensées, il aurait dû construire un scénario qui accorde un minimum de visibilité à des franges sociales encore plus en mal d'exposition aujourd'hui. Qu'il s'agisse des groupes cités précédemment, d'hétéros, de vieux, du ruraux, de transgenres, d'immigrants, le sida est un problème global et actuel que le film ne fait qu'attaquer de façon tristement lisse, et presque stigmatisante tant il laisse sur la touche tous ceux qui ne collent pas à l'image contemporaine de l'homosexuel libéré.
Je lance une bouée de sauvetage à Campillo : j'imagine qu'il parle d'un milieu qu'il a connu, et auquel il a souhaité rendre hommage, tout en essayant de délivrer un message de prévention optimiste au public d'aujourd'hui. Et je comprends qu'il soit à la fois rassurant et enivrant de parler de sa propre expérience ; moi-même, si je grogne contre la bienséance du film, c'est en partie parce que je ne me retrouve pas dans la binarité du genre, et que j'ai un intérêt personnel à ce que la question des transidentités soit considérée dans la sphère publique. Mais enfin si Campillo et ses producteurs souhaitaient avoir un impact sur un sujet social complexe, il aurait fallu qu'ils soient capables de réaliser le même film au moins quinze ans plus tôt... ou bien qu'ils s'emparent d'autres problématiques qui attendent toujours le feu des projecteurs, et s'engagent dans des controverses pas encore publiquement démêlées.
Oui, si je râle, c'est que j'espère voir les mentalités changer, fleurir, s'embellir. Et dans mon attente, je supporte mal que quiconque puisse se bercer de l'illusion que 120 battements par minute contribue au moindre progrès social.