Jeune et inexpérimenté, je n'ai pas encore connu d'autre fermeture de cinéma que celle de l'UGC Orient Express, le 21 janvier 2014. Vilain petit canard de la famille UGC, il était planqué dans les tréfonds des Halles, isolé des naïves boutiques du centre commercial, sept salles enfouies et délaissées au dernier sous-sol coupe-gorge.
C'est en 1983 que le Forum Orient Express émerge du cadavre encore moite d'une boîte de nuit. UGC le rachète en 1992 et le nourrira avec les morceaux indignes : les restes de séances qui font trop honte au Ciné Cité qui se tient au point opposé des Halles (déprogrammation parce que le film a été exploité trop longtemps et qu'il faut faire de la place pour les nouveaux, ou simplement parce qu'il était d'emblée considéré comme un échec), ainsi que les tripes, les intestins, les séances de genre et les nanars, ces déformités qu'il faut cacher pour ne pas choquer les braves gens de la surface. Le programme des laissés-pour-compte, dont la douce odeur de moisi constitue d'abord un attrait pour le cinéphile en retard, puis séduit par révulsion complice.
Les salles étaient petites, les spectateurs étaient louches, le hall était incompréhensible, le couloir des toilettes interminable et glauque. Si vous aviez de la chance, vous pouviez parfois entendre un RER qui passait sous la salle, et faisait discrètement vibrer les murs. L'Orient Express, le souffre-douleur, on le méprisait de son vivant, on ne l'appréciait que par opportunisme ou par pitié. Il est désormais trop tard pour s'excuser de tout ça. Il ne reste plus une seule salle pour recueillir notre culpabilité. All is lost.