Ouvert en 1921, le Louxor mériterait amplement une adaptation cinématographique. La plupart des spectateurs sont loin d'imaginer que le cinéma possède une histoire aussi extravagante que sa salle principale, érigée dans un style néo-égyptien fantasque. Reflet de son quartier, l'antre aux deux balcons développe une programmation en VO indienne et arabe au cours des années 70. L'inscription au titre des monuments historiques n'empêche pas le groupe Pathé de vendre l'établissement à l'enseigne Tati, qui tentera sans succès d'y aménager un magasin textile. Délaissé par son propriétaire, le Louxor abrite coup sur coup une discothèque antillaise, "La Dérobade", puis une discothèque gay, baptisée d'un "Megatown" terriblement 80's. La seconde, qui voit le jour avec un soutien actif de la préfecture de police, établit l'espace d'une soirée une collaboration avec le Salon de l'Agriculture 1987. Décidément absurde. À nouveau désaffecté, le lieu se remplit de sans-abris et de toxicomanes. Diverses pétitions poussent la mairie de Paris à acquérir la salle en 2003. S'ensuivent une dizaine d'années de maintenance puis de rénovation, qui aboutissent à la réouverture du cinéma un matin d'avril 2013, avec comme séance inaugurale le "Jour de Fête" réalisé par... Jacques Tati. Sans rancune !
Mommy, qui aurait vraiment dû s'appeler Mummy pour me permettre d'insérer dans ce paragraphe un jeu de mots foutrement subtil, était diffusé dans la prestigieuse salle 1. Le second balcon est désormais occupé par la bar du Louxor, ce qui ne prive pas d'admirer les fresques et sculptures imposantes qui parsèment les murs de ce grand volume aux teintes solaires. Pas franchement amateur du travail de Xavier Dolan, je ne cache pas que j'étais venu voir la salle plus que le film. Au moins, je n'ai pas été déçu. Avant Mommy, j'ai assisté à une projection du documentaire National Gallery dans la salle 2, souterraine, un bel espace minimaliste qui parvient à mettre en valeur les colonnes de part et d'autre des sièges. Après 3h de gargarismes érudits autour de tableaux de grands maîtres, je trouve vraiment amusant qu'une partie de la salle quinquagénaire ait applaudi, au même endroit où des effluves de testostérone étaient déversés 27 ans plus tôt.