La salle japonaise de la Pagode est la plus belle salle de projection parisienne, de la même façon que la grande salle du Grand Rex propose plus de sièges que n'importe quelle autre salle de la capitale. C'est un constat sans appel. C'est confirmé à 100% par l'INSEE. Garanti, sans conservateur.
En 1896, le directeur du magasin Bon Marché, dans le 7ème arrondissement, offre le bâtiment en cadeau de mariage à sa femme. L'ensemble reproduit très littéralement une pagode asiatique, certains matériaux ayant même été spécialement importés des îles japonaises. Mais Madame se moque bien de toutes ces frivolités, et se fait la malle avec l'associé de son mari. Nonobstant, la Pagode continue d'être fréquentée comme une salle de bal des plus chics.
L'exploitation en tant que cinéma ne démarre qu'en 1931, et n'a presque jamais cessé depuis, moyennant d'éparses années d'interruptions dues à des travaux de réaménagement. Louis Malle (encore une malle, oui), à la tête de l'établissement en 1972, lui offre en particulier une deuxième salle, repense le jardin extérieur, et crée un discret salon de thé. Dans son apanage d'éclairages nocturnes, le jardin reste aujourd'hui d'un cachet exceptionnel. Mais c'est bien l'opulence des décors de la salle japonaise, dorures, tapisseries et reliefs de caractère, qui font le prestige des lieux.
La salle est d'une beauté indescriptible, et malgré les efforts voués à établir une programmation art et essai de qualité, il est rare de ne pas être distrait en pleine séance par ses apparats incongrus et magnifiques. C'est la pièce maîtresse du réseau Étoile, qui a déjà le bon goût de gérer le Balzac et le Saint-Germain-des-Prés. Depuis plusieurs années, le cinéma est en attente de restauration et abrite ses tuiles à la stabilité incertaine derrière de prudes filets de protection. Aux frontières du fantasme, il faut souhaiter que cette Émeraude de Babylone continue encore longtemps à briller.
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Hélas, suite à un conflit entre la propriétaire des lieux et les exploitants du réseau Étoile, la Pagode a fermé ses portes le 10 novembre 2015, sur une ultime séance de Youth. La possibilité que Pathé-Gaumont réinvestisse les lieux a plané pendant quelques mois, mais les perspectives ne sont plus très chatoyantes : le 23 février 2016, de 9h30 à 10h30, une vente aux enchères suite à la liquidation judiciaire de la société éparpillera les projecteurs, les serveurs, les enceintes, jusqu'à la caisse enregistreuse. Sur les fauteuils de la salle japonaise, "nous pensons les vendre par lots de 6 rangs de 8 fauteuils, toutefois il est possible que l'un des lots soit démembré en fonction des demandes le jour de la vente. Nous n'assurons pas le démontage des fauteuils, il appartiendra à chaque adjudicataire de le réaliser convenablement." Un crève-cœur. :/
Merci encore à la salle et à son équipe. Cut.
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Fin 2017, les lieux ont été rachetés par Charles Cohen, distributeur américain de films français et exploitant rôdé. Des travaux de rénovation devraient être lancés, pour une réouverture prévue en 2020, et avec deux salles souterraines supplémentaires. Vivement.