La Filmothèque du Quartier Latin

"Dans 20 mètres, tournez à droite dans la rue Champollion."

Le conducteur a juste le temps de voir le passage que le GPS lui ordonne de prendre avant d'effectuer son virage. La voix métallique ne lui a laissé aucune chance de réfléchir, sans quoi il aurait sans doute hésité à s'engager dans cette voie étroite. Même la lumière semble n'y entrer qu'à contre-cœur. Alors qu'est-ce que peuvent bien faire tous ces gens à moitié sur la route ?

La voiture ralentit, autant par réflexe à la vue des piétons que par méfiance face à cet attroupement incongru. Certains lui jettent un regard vaguement condescendant puis s'écartent d'un pas incident : rien ne saurait déranger leur attente cérémonieuse. D'autres, absorbés dans des discussions passionnées, ne s'aperçoivent de l'intrus qu'au dernier moment, jouent des coudes pour monter à leur tour sur le trottoir minuscule et bondé, et reprennent sans plus attendre leurs débats. Les affiches sur la façade, de l'autre côté de la vitre, finissent par éventer le mystère. Cette petite foule hétéroclite attend de pouvoir entrer dans un cinéma. Mais à les voir ainsi, dans leur recoin obscur, irrégulièrement alignés et indifférents au monde extérieur, c'est comme s'ils avaient déjà un pied dans leur salle.

"Dans 100 mètres, après la rêvasserie, tournez à gauche."

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Mon attachement à la Filmo dépasse sans peine mes capacités d'expression sur le sujet, mais je ne peux pas m'abstenir d'en parler pour autant. Bar, cabaret puis théâtre, c'est en 1956 que l'endroit trouve sa vocation sous le nom peu recherché, mais ô combien évocateur, de Quartier-Latin. Dans les années 80, c'est la valse des titres : Quartier-Latin Pathé, Logos 3, Reflet Quartier-Latin, Utopia-Champollion, Utopia... Avant de revenir au Quartier Latin. Le préfixe de Filmothèque ne date que de 2006, lorsque Jean-Max Causse, ayant quitté le réseau Action quarante ans après l'avoir cofondé, décide de prendre un nouveau départ au 9, rue Champollion.

Avec l'habitude, tout ce qui tourne autour de la Filmo a tendance à devenir emblématique. Son trottoir d'antichambre, son guichetier consacré, la salle Marilyn peinte tout de rouge, l'Audrey bleue et plus intimiste au sous-sol, les reliefs dorés aux lointaines influences baroques, la douce éclosion de lumière des lampes tulipes... Non contents de pouvoir se vanter d'une des ambiances les plus attachantes de Paris, les exploitants proposent chaque semaine une sélection exquise basée sur deux ou trois rétrospectives simultanées, souvent par réalisateur, accompagnées d'électrons libres exceptionnellement mis en avant à l'occasion de leur restauration. Scorsese croise Cronenberg, Ozu échange avec PTA, Truffaut succède à Capra, la liste est infinie. Un équilibre parfait entre les classiques qui claquent sur grand écran, et les oubliés de l'histoire qui méritent d'être redécouverts. Salles en état impeccable, public respectueux, zéro publicité, projecteur 4K et son 5.1 lorsque la copie numérique le permet, c'est le rêve. Et lorsqu'une pellicule 35mm est sortie des placards, les vieux Kinoton sont toujours d'attaque. Même si dans ces conditions, une image qui crépite recèle un charme irrésistible, la Filmo va jusqu'à signaler sur son joli site les rares cas où leur bobine est en mauvais état. Niveau de cinéphilie : it's over 9000.