UGC Ciné Cité Les Halles

L'UGC des Halles est une machine à engranger les entrées. Les séances commencent à 9h et se terminent à 0h45, juste à temps pour attraper un des derniers RER A ou B, ou bien une des cinq lignes de métro. Vingt-sept salles côte à côte enclavées dans un vaste centre commercial au milieu de Paris, presque 4000 places, avant-premières, films à gros budgets mais aussi continuations et le reste des succès commerciaux ou critiques du moment, bref toutes les planètes sont alignées pour que n'importe quel public y trouve son compte et vienne y claquer son flouze. L'archimultiplexe aligne plusieurs millions d'entrées chaque année, pour un total qui représente probablement un record européen. Avec les confiseries et les bars et la diffusion acharnée des 15-20 minutes de pub qui précèdent immanquablement chaque séance, les recettes doivent être vertigineuses.

Pendant plusieurs mois, je me suis servi des Halles pour enchaîner les films, deux ou trois ou parfois plus à la suite, tu sors d'une salle via les couloirs techniques glauques (au moment de la conception, les architectes assommés par le casse-tête de découpage des volumes ont sans doute choisi d'oublier que les spectateurs ne pourraient pas ressortir par là où ils seront rentrés sans risque de fraude...), tu retournes aux bornes d'achat, deux clics sur l'écran tactile, la carte d'abonnement pour régler, et tu es déjà de retour dans une autre salle. Malgré le tableau un peu sombre que j'en peins, les salles sont en très bon état, et les plus grandes d'entre elles font un bon choix pour voir le dernier film à spectacle, tout particulièrement la 1 en amphithéâtre, la 10 à double entrée, et la 6 remarquablement pentue. Mais ce qui prime aux Halles, c'est la praticité, pas l'esthétique.

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J'ai fini par voir la lumière. Déjà, ça me semble plus intéressant de voir de vieux films plutôt que n'importe quelle sortie un peu en vogue. Et surtout, l'effort requis pour écumer les salles du quartier latin ou d'ailleurs est minime, pour une contre-partie beaucoup plus divertissante et agréable et saine que d'aller s'enterrer toujours au même endroit fade. Au risque de passer pour un bobo cinéphile : soutenez les cinémas indépendants ! Ils seront nombreux à vous le rendre en terme de confort et d'ambiance. L'UGC des Halles reste un repaire pour aller se moquer en bonne compagnie et sans vergogne d'aberrations comme Lucy ou Catacombes, mais en n'importe quelle autre occasion il existe de meilleurs lieux de projection, sans file d'attente échaudée ni risque de séance complète en soirée.

Pour ce qui est de l'histoire du ciné, elle est un peu mouvementée mais pas franchement intéressante. L'UGC des Halles, avec son rythme effréné, n'a pas le temps de s'attacher au passé. Disons rapidement qu'il hérite du Forum Horizon ouvert en 1986, dont les contours de la salle 1 subsistent d'ailleurs à ce jour. Le groupe UGC récupère le complexe et, à force d'acquisition de volumes adjacents et de rénovation, propose aujourd'hui ses fameuses vingt-sept salles, grossièrement réparties en trois zones : 1-5, 6-15, 20-23 et 30-37. Les huit petites dernières, ouvertes en 2014, ont permis d'étendre un peu la programmation Art et Essai proposée.

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Le seul aspect des Halles qui me manque un peu, c'est la dimension sociologique des séances. Je me réfère de façon très générique à l'observation du comportement d'une foule dans une salle remplie, tout autant qu'aux spectateurs qui s'endorment, ou encore aux diverses façons de faire taire quelqu'un de trop bruyant (les deux derniers rentrent parfois en intersection par le truchement de ronflements). En complément du MK2 Beaubourg, c'est aussi l'occasion de constater l'impact des critiques presse, qui amènent régulièrement dans les salles des parisiens qui n'ont pas le bagage cinéphilique pour apprécier certaines œuvres, et soit râlent avec des airs éhontés dès la fin du film, soit font semblant d'apprécier avec des arguments doucement risibles, soit tentent de se convaincre de ne pas avoir perdu le prix de leur billet. Je suis un salaud de prétentieux, j'en ai conscience. :) Ceci étant, si ça n'était pas évident et pour dissiper toute ambiguïté : d'une part, je ne défends absolument pas qu'il existe un seul jugement valable pour chaque film, et d'autre part, tant que les entrées servent à rentabiliser le film en question, je n'ai vraiment rien contre le fait que n'importe qui puisse se pointer à n'importe quelle projection !

Bref, de ce point de vue, la première séance du soir de sortie de Cosmopolis était exaltante : je n'ai jamais vu autant de gens sortir d'une salle, et ce d'un bout à l'autre du film, et de façon continue dans le temps. En d'autres occasions, je suis ahuri que certains partent au milieu du climax d'un film, et je me demande si certains s'amusent à rentrer dans une salle de cinéma tout en sachant qu'ils ont un rendez-vous avant la fin de la projection. Pour Cosmopolis, une telle réaction était en fait plutôt prévisible, mais n'en était pas moins amusante à vivre.

Vu que personne ne m'a encore baillonné, je me permets cette dernière réflexion introspective : hanter les couloirs de l'UGC des Halles, c'était déjà pas une grande marque d'ouverture sur le monde, mais paradoxalement, quitter les lieux au profit d'un tas de salles spécialisées sur tout Paris a rendu ma bulle encore plus opaque.