L'avatar de Demon's Souls n'a pas été conçu uniquement en tant qu'interface. C'est en premier lieu un corps, avec son occupation de l'espace et son inertie. Il faut se familiariser avec les capacités de déplacement limitées, évaluer le coût en temps de chaque attaque, déterminer les moments de liberté qui coïncident avec les ouvertures des ennemis. Cette approche bottom-up du modèle, pétri de complexité et ensuite mis à disposition, se détache d'un long historique de personnages sans autonomie, conçus en écho aux désirs des joueurs et des joueuses bien avant d'exister pour eux-mêmes. Mais en restituant sa matérialité au vecteur d'incarnation, l'expérience n'en est que plus immersive.
La dimension très physique de ce socle d'interaction trouve un prolongement efficace avec la gestion des souls. Monnaie d'échange du jeu, les âmes sont incontournables pour l'amélioration des compétences, et se récoltent au contact des ennemis. Ce système, traditionnel s'il s'en arrêtait là, fait l'objet d'une réactualisation brillante. Les âmes acquises sont confisquées lorsque le personnage meurt. Elles peuvent être restaurées s'il est ramené depuis le début du niveau jusqu'à l'endroit de la défaite, mais en cas de deuxième mort avant d'être parvenu·e à les retrouver, elles sont définitivement perdues.
Cette pépite de design altère irrévocablement le rapport au jeu. La menace d'être privée des âmes acquises induit une tension constante, dans les phases de chasse au butin perdu évidemment, mais aussi pendant l'exploration « libre », alors que la mort ne fait encore que planer. Et quand elle frappe, la sentence est douloureuse, mais a priori méritée, car les mécaniques de combat étaient suffisamment rigoureuses pour qu'une prudence maintenue permette de survivre. Le respect que Demon's Souls exige est élastique ; qui enfreint cet accord devra redoubler d'efforts pour sauver ses gains.
Jamais injuste, la sentence n'est pas non plus vécue comme une punition. La possibilité de racheter son erreur, en fournissant l'attention qui était demandée dès le départ, place bien plutôt l'après-quête sous le signe d'une rédemption. En même temps, l'envie de retrouver ce qui a été ravi est si forte... À moins que ce ne soit le désir d'effacer l'affront qui prévale ? Quel que soit le moteur de sa résolution, la scission entre le personnage et les âmes accaparées cristallise une convoitise tenace, et détoure un vide aux frémissements presque tangibles.
C'est cette corporalité multiforme qui, à mon sens, fait l'attrait de Demon's Souls. Elle demeure toutefois indissociable des éléments qui la mettent en mouvement, qui initient et entretiennent l'appréhension. Notamment les boss spectaculaires et puis, pêle-mêle : les niveaux tracés avec équilibre, l'histoire sombre et épique, les compositions musicales caractéristiques, les doublages savoureux... Autant d'aspects qui, à défaut d'être novateurs, restent d'excellente facture, et scellent le jeu parmi les plus intéressants de son temps.
L'avatar de Demon's Souls n'a pas été conçu uniquement en tant qu'interface. C'est en premier lieu un corps, avec son occupation de l'espace et son inertie. Il faut se familiariser avec les capacités de déplacement limitées, évaluer le coût en temps de chaque attaque, déterminer les moments de liberté qui coïncident avec les ouvertures des ennemis. Cette approche bottom-up du modèle, pétri de complexité et ensuite mis à disposition, se détache d'un long historique de personnages sans autonomie, conçus en écho aux désirs des joueurs et des joueuses bien avant d'exister pour eux-mêmes. Mais en restituant sa matérialité au vecteur d'incarnation, l'expérience n'en est que plus immersive.
La dimension très physique de ce socle d'interaction trouve un prolongement efficace avec la gestion des souls. Monnaie d'échange du jeu, les âmes sont incontournables pour l'amélioration des compétences, et se récoltent au contact des ennemis. Ce système, traditionnel s'il s'en arrêtait là, fait l'objet d'une réactualisation brillante. Les âmes acquises sont confisquées lorsque le personnage meurt. Elles peuvent être restaurées s'il est ramené depuis le début du niveau jusqu'à l'endroit de la défaite, mais en cas de deuxième mort avant d'être parvenu·e à les retrouver, elles sont définitivement perdues.
Cette pépite de design altère irrévocablement le rapport au jeu. La menace d'être privée des âmes acquises induit une tension constante, dans les phases de chasse au butin perdu évidemment, mais aussi pendant l'exploration « libre », alors que la mort ne fait encore que planer. Et quand elle frappe, la sentence est douloureuse, mais a priori méritée, car les mécaniques de combat étaient suffisamment rigoureuses pour qu'une prudence maintenue permette de survivre. Le respect que Demon's Souls exige est élastique ; qui enfreint cet accord devra redoubler d'efforts pour sauver ses gains.
Jamais injuste, la sentence n'est pas non plus vécue comme une punition. La possibilité de racheter son erreur, en fournissant l'attention qui était demandée dès le départ, place bien plutôt l'après-quête sous le signe d'une rédemption. En même temps, l'envie de retrouver ce qui a été ravi est si forte... À moins que ce ne soit le désir d'effacer l'affront qui prévale ? Quel que soit le moteur de sa résolution, la scission entre le personnage et les âmes accaparées cristallise une convoitise tenace, et détoure un vide aux frémissements presque tangibles.
C'est cette corporalité multiforme qui, à mon sens, fait l'attrait de Demon's Souls. Elle demeure toutefois indissociable des éléments qui la mettent en mouvement, qui initient et entretiennent l'appréhension. Notamment les boss spectaculaires et puis, pêle-mêle : les niveaux tracés avec équilibre, l'histoire sombre et épique, les compositions musicales caractéristiques, les doublages savoureux... Autant d'aspects qui, à défaut d'être novateurs, restent d'excellente facture, et scellent le jeu parmi les plus intéressants de son temps.